L'essentiel à retenir
Comment devient-on entrepreneuse ? Comment fait-on de ses talents les vecteurs de son succès ? Comment, après un premier enfant, accueille-t-on ses questionnements professionnels et son désir de changement ? Réponses avec Clémence de Stabenrath, qui a fondé Prélude après avoir fait Chance.
Les bases : comment a germé l'idée d'une reconversion professionnelle
Bonjour Clémence, tu as fait Chance et tu t’es lancée dans la création de Prélude, une marque d’objets de naissance repensés et un podcast, peux-tu expliquer comment tu en es venue là et ce que tu faisais avant ?
Je faisais du marketing et de la création de produit en cosmétique, chez L’Oréal (l’école de marketing par excellence) puis chez Typology, où j’ai appris à créer une marque de zéro. Puis ma fille est née en 2020 et ça a été un énorme déclencheur. Je me posais déjà beaucoup de questions, je n’avais pas envie de continuer dans les cosmétiques où je m’étais pourtant beaucoup épanouie.
J’ai vécu un accouchement très solitaire, car c’était en plein confinement, et ça a été une épreuve fondatrice. Je voulais faire quelque chose pour les parents, pour cette période très tabou où la solitude et une forme de désarroi sont encore très peu dicibles et audibles par la société.
Donc une idée de podcast a germé pour que les parents aient des exemples concrets auxquels se référer, et qu’ils soient moins surpris par les hauts et les bas de la parentalité. Je voulais interviewer des femmes et des hommes pour mettre en avant le rôle de chaque parent - des hommes aussi donc - à cette période primordiale. Je suis rentrée de mon congé maternité (prolongé par un congé parental de 2 mois) en septembre, j’avais commencé Chance juste avant, en août, et je suis partie de mon travail en janvier.
“Je suis allée chez Chance pour ouvrir les portes, comprendre mes désirs de réalisation, entrer dans une profondeur que d’autres bilans de compétences n’auraient pas pu permettre.”
J’ai commencé Chance parce que je me sentais complètement perdue : j’adorais mon métier mais je sentais que ça ne me satisfaisait plus. J’essayais de trouver ce qui allait pouvoir être à la hauteur de mes attentes, de ma vie. Je suis allée chez Chance pour ouvrir les portes, comprendre mes désirs de réalisation, entrer dans une profondeur que d’autres bilans de compétences n’auraient pas pu permettre. J’ai pu saisir ce que je voulais apporter au monde bien au-delà d’un métier. J’avais très peur des images d’Épinal de la reconversion, j’étais persuadée que la reconversion ne pouvait qu’être radicale. Pourtant, ce que j’ai vécu est réellement une reconversion, une construction qui me ressemble totalement.
La création visuelle : convertir une passion en travail
“C’est ma coach, Anne-Laure Mallez, qui a réorienté mon propre regard sur ce que j’aimais tant, sur ce moteur qui était la création visuelle.”
Chez Chance on propose aux personnes qui font le parcours d’analyser leur travail comme la somme de 4 piliers : le métier, la finalité, les impératifs non négociables et l’environnement : qu’est-ce qui, dans cette analyse, t’a permis d’ouvrir cette voie, et de créer à la fois un podcast et une ligne d’articles de naissance sous un seul et même nom : Prélude ?
Je pense que la finalité est ce qui m’a le plus parlé, en lien avec les moteurs que j’ai appris à connaître et surtout reconnaître comme de vraies forces. J’ai réussi à accepter que je pouvais beaucoup m’épanouir en faisant des tâches qui pour moi étaient simplement une passion à côté. En l’occurrence, le dessin - j’avais fait des études de commerce, je pensais que ce n’était qu’un loisir, que ça ne faisait pas “sérieux”.C’est ma coach, Anne-Laure Mallez, qui a réorienté mon propre regard sur ce que j’aimais tant, sur ce moteur qui était la création visuelle. Mon “équipe” (c’est-à-dire l’entourage de chaque personne qui fait Chance, que le programme sollicite comme appui tout au long du parcours - ndlr) m’a beaucoup parlé de ce talent pour le dessin, et j’ai découvert que je pouvais en effet le faire vivre dans mon travail.
Soutenir les nouveaux parents : naissance du podcast et de la ligne Prélude
"Après la naissance de mon enfant, j’ai eu besoin d’être informée, et d’entendre des gens parler de leur expérience pour me sentir moins seule. Et j’ai donc décidé de proposer quelque chose de soutenant pour les nouveaux parents."
Je suis repartie de ma volonté d’aider les parents autour du postpartum. Les parents sont bien moins entourés désormais, du fait des nouvelles technologies, alors qu’ils ont besoin de présence réelle. Après la naissance de mon enfant, j’ai eu besoin d’être informée, et d’entendre des gens parler de leur expérience pour me sentir moins seule. Et j’ai donc décidé de proposer quelque chose de soutenant pour les nouveaux parents. On parle toujours du caractère spectaculaire de l’accouchement, puis on se concentre sur le bébé, mais on ne demande que très peu aux parents comment ils vont après.
Donc le podcast Prélude est une forme de soutien, de médium de partage d’information, aussi. Dans l’épisode avec Alexandre Lacroix, il parle en tant que philosophe de la naissance de ses cinq enfants, et ses mots peuvent aider, donner à penser.
Le podcast Prélude présente aussi, grâce au partage d'expériences, les clés de cette temporalité si dure du postpartum, et indique un élément essentiel : à un moment, ce vortex très angoissant s’arrête. Même dans des situations plus graves de dépression postpartum, on s’en sort à un moment, et il me paraissait très important de le rappeler et de faire de Prélude un porte-voix au service des nouveaux parents.
Ma passion est la création d’objets, j’ai donc voulu créer d’abord des carnets, pour résoudre certaines difficultés du quotidien. Et il m’a semblé important aussi de repenser d’autres produits qui soient pratiques mais aussi durables : un bavoir qui couvre le cou pour éviter les irritations liées aux coulures, un sac à langer qui soit beau, pratique et qui puisse se convertir après en sac à ordinateur. J’ai aussi voulu ouvrir une ligne de papeterie et décoration plus durable, pas restreinte à une décoration de nourrisson (les cartes de routine pour le rituel du coucher, les affiches, etc.).
Comment lance-t-on sa marque, après une reconversion professionnelle ?
En combien de temps après Chance as-tu créé Prélude ?
Entre le tout début et le lancement : 10 mois. Comme j’avais déjà une expérience en lancement de projet, certaines étapes ont été plus rapides. J’ai beaucoup testé les produits autour de moi en parlant avec des ami-es parents ou futurs parents, à partir de ça j’ai travaillé l’aspect visuel et créatif de la marque. J’ai aussi cherché en parallèle les usines et logisticiens et en fait c’est allé plutôt vite : j’ai retrouvé un logisticien, des fournisseurs (boîtes, colis d’envoi, imprimeurs, etc.) avec qui j’avais déjà travaillé avant. Et ensuite j’ai fait des appels à contacts sur les réseaux sociaux, notamment pour le textile - et comme tout le monde connaît toujours quelqu’un, j’ai obtenu des mises en relations très vite.
Et ça, Chance aussi m’a vraiment aidée à le faire : dans le parcours on est très poussé à entrer en lien avec des gens, et ça a beaucoup facilité ce processus.
La partie autour du textile a été plus longue car c’est un secteur qui fonctionne différemment : c’est à moi de sourcer les tissus (gros sujet écologique). Or c’est moi qui fais tisser en France, qui ai même conçu les couleurs, donc c’est un processus beaucoup plus long. Les prototypes de sacs et bavoirs représentent une partie essentielle de la conception, or ça demande du temps : 9, 10 allers-retours jusqu’à ce que le produit soit parfait à mes yeux, résistant aux lavages, beau et ergonomique, soit plus de 6 mois en tout.
“Prélude propose une esthétique qui peut parler aussi bien aux parents qu’à l’enfant, en sortant d’une esthétique exclusivement enfantine qui peut participer à absorber l’identité des adultes devenus parents.”
Quelle vision de la parentalité vient servir l’éthique qui est présente dans la conception de Prélude ?
Globalement, toute la marque s’intéresse au vécu et au ressenti des parents, et estime qu’on peut répondre à beaucoup de vécus avec la beauté et l’utilité. La beauté n’est pas que cosmétique : en postpartum on est face à du concret trivial (on change des couches toute la journée, rien de plus “concret” que ça !) et la beauté peut venir en appui, en aide. Prélude propose une esthétique qui peut parler aussi bien aux parents qu’à l’enfant, en sortant d’une esthétique exclusivement enfantine qui peut participer à absorber l’identité des adultes devenus parents.
Concernant l’éthique, je trouve déjà complexe de créer de nouveaux produits en 2021, dans une perspective écologique où on consomme déjà trop. Les tissus Prélude sont produits en France, les boutons à Lille, les boîtes en Essonne, la papèterie à Montmartre. Et au Portugal, je fais faire l’assemblage, la confection. L’idée était d’avoir des prix aussi accessibles pour une empreinte carbone aussi faible que possible. Tous les carnets sont faits à partir de papier recyclé, pour certaines éditions limitées textiles, nous allons utiliser des chutes de tissu. Enfin, la logistique est assurée par un logisticien qui optimise tout : on s’assure qu’il y ait un minimum de vide dans le conditionnement, et même que le colis soit recyclable en boîte cadeau ! L’objectif est qu’on s’améliore toujours, aussi bien du point de vue de nos produits que du point de vue de nos engagements sociaux.
Comment peut-on se procurer les objets que tu as conçus ?
Nous lançons à l’instant et pour 1 mois Prélude sur Ulule, où nous allons évaluer la demande et produire en fonction : ça aussi, c’est une démarche écologique, pour raisonner la production, évaluer la demande. On s’aperçoit par exemple que le bavoir qui couvre le cou va devoir être produit dans de plus grandes quantités (la personne qui transcrit l’interview, elle-même mère d’un bébé, trouve en effet ce bavoir totalement génial - ndlr) !
"On a le droit de se poser des questions : ce n’est pas un manque de loyauté vis-à-vis de son entreprise ou de sa vie actuelle."
Le conseil pour réfléchir à sa vie professionnelle
As-tu un mot à dire aux personnes qui nous lisent et se posent des questions sur leur travail ?
La première chose que je dirais, c’est qu’on a le droit de se poser des questions : ce n’est pas un manque de loyauté vis-à-vis de son entreprise ou de sa vie actuelle. Ça vaut le coup de beaucoup échanger, de parler de nos doutes avec nos proches qui nous connaissent bien, pour ne pas être seule avec ses questions. Ça apporte des éclairages essentiels, et ça ouvre des pistes. Il faut embrasser le changement.