L'essentiel à retenir
“J’ai tellement de cordes à mon arc que c’en est devenue une harpe : professeure de danse classique, GO scénographe au Club Med, peintre en décors et en trompe-l'œil, tapissière en sièges, peintre en bâtiment, encadrante technique d’atelier dans une association d’insertion par l’activité économique…”
Comment, à partir de tous ces talents, construit-on une vie sur-mesure ? Eugénie, qui a fait Chance, nous raconte son parcours, les difficultés et injustices qui sont passées sur son chemin, son humanisme, l’héritage dont elle a réussi à se défaire, ses désirs pour l’avenir.
Merci à Eugénie pour la générosité avec laquelle elle s’est confiée à nous, à la suite d’un formidable post LinkedIn retraçant son parcours.
Avant la reconversion professionnelle : “Mes échelles de valeurs n’étaient pas respectées”
Bonjour Eugénie, tu as fait Chance après avoir eu de multiples activités : qu’est-ce qui t’a amenée à vouloir réfléchir à ta vie professionnelle avec Chance et peux-tu expliquer ce que tu faisais avant ?
Comme je le disais sur LinkedIn, j’ai fait un tas de choses, mais pour ma dernière expérience, j’étais conseillère en insertion professionnelle dans un centre de formation dans le BTP. J’accompagnais des jeunes sur une prépa apprentissage. Sur le papier, c’était top : le BTP me plaît, et j’adore accompagner les jeunes, leur transmettre des clés de confiance, leur apporter mon expérience.
“Je ne savais plus si le problème était ce métier ou la structure elle-même.”
En revanche, j’ai beaucoup souffert pendant ce contrat : j’ai été mise en difficulté, à devoir faire des choses pour lesquelles je n’ai pas été formée. Au point où je ne savais plus si le problème était ce métier ou la structure elle-même.
Donc j’ai eu besoin de prendre du recul pour analyser ce qui m’avait mise dans cette situation.
J’ai eu plusieurs expériences durant lesquelles j’ai fait face à des injustices, que je ne supporte pas et contre lesquelles je me bats. J’ai mené les combats que j’ai trouvés justes, par exemple dans ce centre de formation, avec un collègue formateur, en poste depuis des années, qui avait un comportement déviant (harcèlement sexuel, etc.) avec les jeunes et avec moi (il a été exclu à la suite de mes alertes). Mais bon, il était là depuis presque 10 ans alors que moi, j’étais en CDD, et je ne me suis pas fait que des ami-es dans ce contexte.
“Le gros avantage, quand on vit ça, c’est de pouvoir faire vivre sa capacité de résilience, et valoriser son intelligence émotionnelle.”
Ce qui est sûr, c’est que je me suis aperçue que je ne peux pas travailler dans un lieu où mon échelle de valeur n’est pas respectée.
J’aurais voulu mettre en place un groupe de parole avec les apprenties filles sur le sexisme dans le BTP, mais je n’ai pas pu mener ce projet à bien car la structure dans son ensemble était toxique, avec des personnes promues alors qu’elles étaient en procès aux Prud’hommes pour harcèlement moral, etc.
Le gros avantage, quand on vit ça, c’est de pouvoir faire émerger sa capacité de résilience, et valoriser son intelligence émotionnelle.
Comment on bâtit un projet de réorientation professionnelle sur-mesure
“J’ai pris conscience que tout ce que je faisais, c’était pour avoir le regard et l’approbation de mon père.”
Tu as un parcours hyper créatif, très orienté vers la peinture, la scénographie, la tapisserie : qu’est-ce qui ne te convenait plus dans la création ?
Je suis la seule fille entre deux frères, avec un père d’origine italienne très manuel, et j’ai pris conscience que tout ce que je faisais, c’était pour avoir le regard et l’approbation de mon père. J’en ai parlé à mon père, et ça m’a libérée, ça m’a permis de créer ma voie à moi.
Mon compagnon et moi nous sommes rencontrés il y a 1 an, et nous construisons une vie qui me passionne, dans laquelle on se lance à fond. Nous venons d’acheter ce corps de ferme incroyable, on a envie de faire de la permaculture, un gîte, du woofing, pourquoi pas faire des fauteuils, brasser de la bière, etc. Et de faire des enfants.
La création, j’ai envie de la garder pour “poser mon cerveau”, décompresser, mais plus du tout pour ma vie professionnelle.
Qu’est-ce qui, dans le parcours Chance, t’a aidée à monter ton projet professionnel ?
J’ai totalement kiffé le début du parcours consacré à l’introspection : la plateforme est incroyablement conçue, j’étais surstimulée, enfermée dans ma bulle à prendre tout le temps qu’il fallait pour alimenter ma réflexion.
Les questions aux proches aussi, ça a été incroyable (c’est une activité dans le parcours Chance, ndlr). Ça m’a pris un moment de faire la liste des personnes à qui je voulais envoyer ça, et les retours que j’ai reçus m’ont renforcée.
J’ai perçu l’importance que je pouvais avoir pour plein de gens, que j’étais une vraie épaule pour beaucoup de monde dans mon entourage, que j’étais un soutien, que je savais écouter, communiquer, synthétiser et transmettre de l’énergie.
“MON déclic, ça a été de m’apercevoir que j’ai le droit d’avoir plusieurs projets.”
Et je suis arrivée à la phase d’exploration qui m’a mise face à des possibilités si différentes (bien qu’intéressantes) que je ne savais plus où me diriger. Et là c’est ma coach Meryem Belqziz qui m’a guidée en me disant que je pouvais avoir plusieurs projets, et que je pouvais les étaler sur des espaces-temps différents.
Mon projet immédiat, c’est d’être conseillère en insertion professionnelle : accompagner les jeunes me passionne, et les retours de mon entourage m’ont confortée dans cette idée. Mon projet à moyen terme, plus tard, c’est de créer un gîte dans le corps de ferme que j’ai acheté avec mon compagnon, d’y organiser des résidences pour des mineurs isolés, des festivals, bref j’ai mille idées.
Mais MON déclic, ça a été de m’apercevoir que j’ai le droit d’avoir plusieurs projets.
Comment est-ce que la réflexion autour des 4 piliers a provoqué un déclic vers la confirmation de cette voie ?
On a beaucoup travaillé sur l’environnement de travail : faire très attention à la prochaine structure où j’allais exercer, car ce que j’ai vécu, ma coach m’a fait prendre conscience que ce n’était pas normal. Là, je dois passer le titre professionnel pour pouvoir exercer ce métier donc je devrai être alternante, mais je n’exclus rien concernant l’environnement, pourquoi pas monter ma propre structure, être à mon compte.
Le public avec lequel je veux intervenir est très défini : les jeunes, notamment les mineurs non accompagnés, et ceux que nous appelons communément les “décrocheurs scolaires”, que le système a broyés, et à qui il est essentiel de rappeler qu’ils ont leur place, qu’ils sont capables. Ces jeunes me touchent, et je trouve important de transmettre qu’ils ont un libre-arbitre et une capacité de résilience.
Mes impératifs, eux, se sont définis au fur et à mesure. Meryem Belqziz, ma coach, m’a appris que je pouvais poser mes conditions. Je veux du temps libre (pas plus de 35 heures de travail/semaine), gagner 1600 euros par mois minimum, travailler dans mon coin (j’ai emménagé dans le Limousin en pleine campagne), être dans mon territoire. Et je veux aussi avoir des enfants, donc j’aimerais avoir un CDI aussi pour assurer cette sécurité.
Je veux une vie simple, mes impératifs ne sont pas compliqués.
Comment est-ce que ton entourage t’a soutenue durant ta réflexion avec Chance ?
Quand on me demandait ce que je faisais, je parlais de Chance en disant “Je prends du temps pour moi”, je l’ai beaucoup valorisé, je prenais des captures d’écran pour dire aux gens de se poser les questions qui m’étaient posées en me disant que ça pouvait les aider.
“Mes parents m’ont beaucoup aidée à leur manière : ils m’ont dit clairement que leur rêve n’était pas que je signe un CDI dans un lieu qui me faisait du mal, mais que j’aille bien, et ça m’a aussi beaucoup libérée.”
Mon compagnon, Antoine, a été fabuleux. Avant de commencer Chance, j’étais vidée et épuisée par ma dernière expérience de travail. Je suis hypersensible, une éponge à émotions, et vivre des injustices est quelque chose que je vis mal. J’ai expliqué à Antoine que Chance allait être un moment plein pour ma reconstruction, auquel je voulais me consacrer à fond, et il m’a énormément soutenue.
Mes deux meilleures amies m’ont aussi pas mal épaulée, on s’est fait des sessions de travail toutes les trois, elles deux sur leur ordi à bosser, et moi à faire Chance.
Mes parents m’ont beaucoup aidée à leur manière : ils m’ont dit clairement que leur rêve n’était pas que je signe un CDI dans un lieu qui me faisait du mal, mais que j’aille bien, et ça m’a aussi beaucoup libérée.
Choisir une formation, et se créer un carnet d’adresses
Où en es-tu aujourd’hui de la réalisation de ton projet ? As-tu des pistes qui se sont ouvertes depuis ton super post LinkedIn ?
Mon post a suscité la curiosité : une structure que j’ai taguée a envoyé mon CV à plusieurs autres organismes, et moi en parallèle j’étudie mon territoire, j’envoie des mails pour demander des rencontres. J’intègre ma formation le 30 mai, mais il me faut cette structure d’accueil. Cela faisait des jours que je réfléchissais à ce post, et ça m’a énergisée de le publier : j’ai été impressionnée de voir la quantité de réactions positives qu’il suscitait.
"S’écouter, ce n’est pas envoyer tout valser, c’est prendre soin de soi."
Le conseil pour réfléchir à sa vie professionnelle
As-tu un mot à dire aux personnes qui nous lisent et se posent des questions sur leur travail ?
Je pense que c’est important d’apprendre à s’écouter. Le mal-être n’est pas normal, il est au contraire inacceptable. Quand notre corps réagit, il faut l’écouter. Et s’écouter, ce n’est pas envoyer tout valser, c’est prendre soin de soi.